lundi 9 mai 2016

De femmes en femmes

Lorsque j’étais enfant, j’ai traversé l’océan…
J’ai traversé l’océan avec ma famille… une migration à sens unique, une immigration nordique et rustique !
Arrivée au fond du bas, du Bas-St-Laurent, dans une contrée éloignée, un petit village à peine 
« mappé » il a fallu nous adapter. J’en ai versé des larmes à m’ennuyer, fâchée que mon père nous ait emporté loin de nos grands-parents tant aimés, isolés sur cette terre ou il n’en finissait plus de neiger. Mais l’hiver a fini par s’en aller et mon cœur se réchauffer. Faut dire que même si à l’école on avait pas vraiment d’ami et même quelques soucis, à la maison il faisait bon ! Et nos parents, eux, avaient été accueillis par des gens gentils. À mesure que la terre se départissait de son manteau d’hiver, que les champs se couvraient de vert, les voisins agriculteurs venaient échanger, veiller, nous inviter pour souper ! C’est comme ça que doucement on s’est retrouvé des genres de cousins avec qui jouer, des genres de tantes et d’oncles à écouter et observer, des genres de grands-parents à épier secrètement, parce qu’ils nous impressionnaient, nous inspiraient. 

Je pourrais tous vous les raconter, tellement je les aimais; Marlène et Jean-Clément chez qui ont allait regarder des dessins animés en couleurs, veiller jusqu’à pas d’heure, parce que nos parents bavards ne se rendaient pas compte qu’il était tard… ou tout simplement parce qu’ils prenaient du bon temps après tant de labeur aux champs. Raoul, celui qui me faisait rire, avec qui nous allions garder les moutons tous empilés dans son camion. Daniel et Elise, Robert et Louise, tous avec leurs bambins, leurs chagrins, leurs bonheurs, leurs rêves de liberté, d’indépendance d’agriculteurs ! Mais aujourd’hui c’est d’Yvette et de Roland dont j’ai envie de parler, de me rappeler… de pleurer, parce qu’Yvette s’en est allée.

Pour moi Yvette c’était la grand-mère.
Elle ne remplaçait pas celles que j’avais, elle faisait vivre celle qu’un jour je deviendrai sur cette nouvelle terre d’émigrée. Dans mes yeux d’enfant qui n’avaient pas encore beaucoup vécu, je l’ai toujours vu âgée…
Peut-être parce qu’elle était légèrement voutée, ou parce qu’elle faisait d’immenses jardins et en gardait toujours de la terre sur ses mains.
Peut-être parce qu’elle avait une façon particulière de s’occuper de ses fleurs, de raconter ses frères et ses sœurs.
Peut-être parce qu’elle avait les yeux si doux, sans jamais aucun courroux.
Peut-être parce qu’elle m’inspirait le calme et la sagesse liés à la vieillesse.
Peut-être parce que j’étais toujours fascinée lorsqu’elle faisait allusion à Montréal qu’elle avait quitté… quitté la grand ville pour s’installer sur une terre et devenir propriétaire ou plutôt libre de vivre à leur façon, avec moins de pression… tout un pan d’histoire du Québec que l’école m’enseignait, mais qu’Yvette faisait vivre, dans mon cœur d’enfants dépaysé, apprivoisé, interloqué.
Peut-être parce que comme un livre ouvert, lorsqu’elle parlait avec ma mère, j’écoutais et j’apprenais… j’apprenais sur les peines et les joies, les émois des derniers mois, les difficultés financières pendant qu’elles buvaient le café, les soucis de la vie la faisant replacer une mèche de cheveux gris, la fatigue, les inquiétudes et incertitudes liées aux enfants tout en ce berçant, les désirs de femmes entre les larmes, les rires, la fierté et la complicité tandis qu’elles se confiaient.

Puis j’ai grandi… j’ai moins écouté ma mère et ses amies, j’ai fait ma vie.
J’ai versé mes larmes, aimé et chicané avec mon homme, eu des bébés, été fatiguée, me suis inquiétée pour mes enfants  et j’ai eu 40 ans ! Alors ma famille a rapaillé toutes mes racines, mes amies, mes voisins, ceux qui m’avaient été précieux et parmi eux… il y avait Yvette, Yvette avec ses yeux bleus ! Yvette et Roland venu raviver mes bonheurs d’enfants, grâce à leur méchoui qui allait nous régaler, grâce à leur bienveillance et leur présence dont j’allais profiter encore une soirée … comme lorsque nous étions petits et que chez eux on allait veiller !

Je ne savais pas que se serait la dernière fois que je la serrerai dans mes bras…
D’autres journées se sont écoulées…j’ai vieilli et voilà qu’à mon tour j’ai des cheveux gris … Yvette, elle, a achevé sa vie… c’est ma mère qui me l’a dit. Ma mère qui m’a tant appris avec son amie, lors de leurs jases sur la galerie… leur jases qui m’ont préparées à la vie… leurs jases qui, lorsque les larmes seront séchées, continueront de m’inspirer.

J’aurai voulu chuchoter tout ça à ton oreille, pour te rendre hommage, te remercier… mais samedi, je serai à mon tipi… mon tipi qui fait office de galerie, pour transmettre et partager ces savoirs de femmes que toi et maman m’avez insufflés. Alors ce cercle à venir je te le dédis à toi et aux tiens pour que la suite de votre chemin soient aussi fleuris que tes jardins, doux que tes yeux bleus, porteurs que ton labeur.

Affectueusement,

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